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La foi et le 7e art…

V.MIEVILLE
29.03.2022
La foi et le 7e art…
Je suis pasteur et cinéphile ! J'aime aller au cinéma le plus souvent possible et je vois en général trois films par semaine (plus quelques autres sur les plateformes de streaming). J'aime tous les cinémas. Je peux m'enthousiasmer pour un film d'auteur expérimental ou pour un blockbuster, ça va du long-métrage slovaque en noir et blanc (et en version originale sous-titrée) jusqu'au dernier film Marvel. Bref, le cinéma fait partie de ma vie, et j'oserais même dire qu'il fait partie de ma vie de foi. Ou du moins qu'il entre régulièrement en résonance avec ma foi et ma vie de croyant.
 
Voir un film, c’est d’abord vivre une expérience.
Une expérience qui se vit sans doute pleinement dans une salle de cinéma, qui permet les meilleures conditions pour faire l'expérience d'un film (pour autant qu'on s'y consacre pleinement, en laissant de côté son smartphone par exemple...).
Et cette expérience, comme toute confrontation à l'art, peut revêtir une certaine dimension spirituelle. J'ai la conviction qu’une oeuvre d’art peut être un vecteur de révélation de Dieu - je crois en un Dieu qui est présent partout dans sa Création, et la création artistique est une forme de prolongement de la Création -  et cela indépendamment même des intentions de l’artiste. Voici comment je vis les choses en ce qui concerne le cinéma...
 
Quand je regarde un film, je suis à fond dedans. Et, quand le film me parle (ce qui n'est pas toujours le cas...), je m'identifie de façon plus ou moins proche à tel ou tel personnage, je suis touché par une scène ou je suis rejoint par une histoire qui entre en résonance avec mon expérience ou mes préoccupations. Et cela crée en moi des émotions très variées (tristesse, peur, colère, joie, paix...) parfois très fortes (je pleure souvent dans les salles de cinéma : heureusement que les salles sont dans l'obscurité !). Un spectateur peut très bien s'arrêter là et ressortir de la séance avec l'impression d'avoir passé un bon moment ou d'avoir été ému. Mais j'aime aller un peu plus loin et prendre du recul. J'aime réfléchir à cette expérience, analyser le film et me demander pourquoi il m'a atteint de telle ou telle manière. Je noue un dialogue intérieur avec le film, je le confronte à ma vie, à mes préoccupations et mes interrogations, à mes valeurs et mes convictions... et évidemment aussi à mon expérience chrétienne et à ma foi.
 
Je pense par exemple à deux films qui m'ont profondément marqué, y compris spirituellement.
Le premier est réalisé par un non-croyant, adapté même d'un livre écrit par un athée convaincu :
2001, l'Odyssée de l'espace. Le génie de Stanley Kubrick est d'avoir proposé une fin plus ouverte et énigmatique que le roman d'Arthur C. Clarke, ouvrant des perspectives métaphysiques, notamment sur le temps et l'éternité, qui ont eu, et ont encore sur moi un effet profondément spirituel.
Le deuxième film auquel je pense est plus récent et réalisé par un des grands réalisateurs d'aujourd'hui, par ailleurs croyant à sa manière, un mystique dont la dimension spirituelle est évidente dans pratiquement tous ses films. Il s'agit de Terrence Malick, dont j'aime tous les films, mais mon préféré est Tree of Life (Palme d'Or à Cannes en 2011), un grand film lyrique, contemplatif et métaphysique, qui ne nous raconte pas vraiment une histoire avec un début, un milieu et une fin mais qui évoque l'enfance et l'adolescence de son personnage principal, son apprentissage de la vie, avec les deux figures opposées de ses parents, la mère qui représente la grâce et la douceur, et le père, image de la nature, rude et violente... Jusqu’à la fin onirique, mystérieuse et sublime.
 
Si l'expérience spirituelle associée à un film n'est évidemment pas toujours aussi intense que celles que j'évoque avec ces deux chefs d'oeuvre, je fais régulièrement l'expérience d'un film qui me touche et me rejoint, et qui entre en résonance avec ma foi. Je ne peux que vous encourager à chercher à vivre de telles expériences, à vous laisser rejoindre par un film (ou une autre œuvre d'art), à le faire dialoguer avec votre vie. Ce pourrait être pour vous l'occasion d'une expérience spirituelle, voire même le début d'un chemin de foi...
 
 
 
Quelques exemples de films récents qui ont été pour moi l'occasion d'une expérience forte :
 
Nomadland (réalisé par Chloé Zhao)
Alors que la cité minière où elle vivait s’est transformée en cité fantôme à cause de la crise économique, et après le décès de son mari, Fern a décidé d’adopter un mode de vie nomade, allant de lieu en lieu au gré de petits boulots, et vivant dans son van. Sur la route, elle croise et recroise d’autres personnes qui ont opté pour ce mode de vie, en rupture avec les standards de la société actuelle. À la frontière parfois du documentaire, avec ses nombreux acteurs amateurs issus eux-mêmes de la population nomade qu’il évoque, c'est un road movie d’une humanité et d’une beauté - esthétique et morale - bouleversantes. Un film qui donne envie de vivre, malgré les épreuves, grâce aux rencontres qui jalonnent notre chemin, avec l’assurance que, d’une manière ou d’une autre, on se recroisera sur la route.
 
Annette (de Leos Carax)
Henry est un comédien de stand-up, à l’humour acide et provocateur. Ann est une chanteuse lyrique de renommée internationale. Ils s’aiment et forment ensemble le couple glamour du moment. Mais la naissance de leur premier enfant, Annette, va bouleverser leur vie de couple. Plus qu’une comédie musicale, c'est un conte opératique assez dingue, une proposition radicale, originale, foisonnante, lyrique. Un grand film tragique, cruel et d’une beauté déchirante. Une expérience de cinéma envoûtante.
 
Serre-moi fort (réalisé par Mathieu Amalric)
Clarisse est mariée et mère de deux enfants. Un jour, sans raison apparente, elle quitte la maison. Elle prend la voiture de son mari et s’en va. C'est un film sur l'absence et les souvenirs, sur l'importance de maintenir le lien et d'entretenir l'amour, quoi qu’il arrive. Le titre sonne comme un cri, un élan de vie et d’amour, une injonction bouleversante : Serre-moi fort ! Un de ces films qui prennent une dimension encore supérieure, une épaisseur insoupçonnée, après son visionnage…
 
Adieu les cons (réalisé par Albert Dupontel)
Lorsque Suze Trappet apprend qu’elle est gravement malade, elle décide de partir à la recherche de l’enfant qu’elle a abandonné, ayant accouché sous X alors qu’elle avait 15 ans. Au cours de ses démarches, elle va rencontrer JB, un quinquagénaire dont le suicide raté a créé le chaos dans son entreprise, et M. Blin, un archiviste aveugle qui va les accompagner dans leur quête. Un formidable numéro d’équilibriste émotionnel : j’ai ri aux éclats et j’ai pleuré ! Derrière la farce on discerne un regard inquiet sur notre monde et plutôt désabusé sur la vie. Un cocktail détonnant, à la fois drôle, caustique, engagé et émouvant. Une fable contemporaine qui, derrière le burlesque et l’absurde, dénonce les travers de notre société moderne, capitaliste, déshumanisée…
 
The Power of the Dog (réalisé par Jane Campion) – sorti sur Netflix
Dans les années 1920, Phil et George Burbank sont deux frères qui ne se ressemblent pas du tout. Ils sont à la tête d’un des plus gros ranchs du Montana. Lorsque George épouse Rose, Phil ne le supporte pas et se met en tête de la détruire. Et pour l’atteindre, il va se servir de Peter, le fils de Rose, un jeune homme sensible et efféminé. Un film au ton singulier qui déconstruit les codes du western. On comprend rapidement que le film va parler de masculinité, et en particulier de masculinité toxique. Mais les personnages, qu’on pense avoir cernés dès le début, se révèlent petit à petit plus complexes. Le film joue sur les ambiguïtés et les sous-entendus pour mieux brouiller les pistes. C’est aussi un film sur les apparences trompeuses, sur le regard qu'on porte sur les autres, sur les stéréotypes... dans un récit qui, grâce à un scénario intelligent, ne révèle ses véritables tenants et aboutissants que lors du dernier acte,.
 
The Green Knight (réalisé par David Lowery) – sorti sur Amzaon Prime Video
À la cour du roi Arthur, un jour de Noël, un étrange chevalier vert apparaît. Il lance un défi : lequel des chevaliers présents aura le courage de lui infliger un coup ? Celui-ci devra alors, un an plus tard, aller le retrouver et à son tour recevra un coup identique de la part du chevalier vert. C’est Gauvain, le neveu du roi, qui répond au défi et qui tranche la tête du chevalier vert. Ce dernier reprend sa tête en main et s'en va, donnant rendez-vous à Gauvain une année plus tard… Cette adaptation cinématographique d’un poème d’amour chevaleresque anglais du XIVe siècle est d’une beauté à couper le souffle. Les images sont sublimes, au service d’un film fantastique (dans tous les sens du terme), un récit onirique, symbolique, une histoire fascinante et mystérieuse, ouverte à toutes les interprétations, mais avec une dimension existentielle évidente.

Vincent M.
La foi et le 7e art…