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« J’étais en prison et vous êtes venus me voir »

J.LE BIVIC
08.08.2022
« J’étais en prison et vous êtes venus me voir »
Pourquoi aller s’asseoir avec « des gens sans foi ni loi, ceux qui se moquent de tout 1», même de la vie ou du corps d’un enfant ? Un avocat défendant ces victimes a dit : « si le prêtre, acteur de tels agissements répréhensibles est assis sur le banc de gauche et si l’enfant est assis sur le banc de droite, on sait sur quel banc le Christ va s’asseoir, sur le banc de droite avec l’enfant ». Mais les choses ne sont pas si simples.
 
POURQUOI RENDRE VISITE AUX PERSONNES DÉTENUES ?
 
Pourquoi aller s’asseoir sur un coin de lit, au fond d’une cellule où la lumière pénètre à peine en ce beau jour d’été, alors que deux autres codétenus regardent la télévision, et accepter de boire un Ricoré à moitié chaud dans une tasse à moitié propre ? Les premiers chrétiens ne se sont pas posé la question. Ils sont non seulement aller rendre visite, mais apporter des vivres, des vêtements à leur père, leur frère, leur sœur incarcérés en raison de leur foi, pour avoir suivi leur maître. Puis, ils ont pris l’habitude de rendre visite à toutes les personnes détenues. Ainsi, l’aumônerie est née dans la tradition chrétienne. Tous les cultes ne connaissent pas cette tradition, comme le culte musulman par exemple qui cependant l’a adoptée en France depuis une vingtaine d’années.
 
La préoccupation des personnes détenues est au cœur de toute la Bible et du message du Christ. Dieu ne rompt pas le dialogue avec Caïn, même après le passage à l’acte, mais il met un signe distinctif pour le protéger. Jésus accueille le larron sur la croix à ses côtés (Luc 23:39-43)2. L’apôtre Paul invite les chrétiens à visiter les prisonniers. L’épitre aux Hébreux exhorte : « Persévérez dans l’amour fraternel. Souvenez-vous des prisonniers comme si vous étiez avec eux. » (Hébr. 13:3).
 
UNE PRÉSENCE FRAGILE : VISITE OU VISITATION ?
 
Visiter une personne détenue, c’est lui offrir un simple contact humain dans cet univers si déshumanisé. Être présent pour faire quelques pas avec elle dans le banal de son quotidien, en se rendant disponible pour une écoute, pour la rejoindre là où elle en est, pour l’aider à retrouver les mots. Tel un serviteur inutile, comme le relate une personne détenue : « l’aumônier protestant est le seul qui ne m’ait jamais rien vendu. » Le Christ s’approche parfois de façon plus perceptible. Présence discrète mais intense qui se glisse dans les cœurs de la personne détenue et de l’aumônier, lorsqu’ils font route ensemble, tels les disciples sur le chemin d’Emmaüs. Il peut alors s’ouvrir un cheminement vers celui qui est le chemin, la vérité et la vie.
 
UNE PRÉSENCE FRAGILISÉE PAR UNE LAÏCITE DE CONTRÔLE
 
Ministre du culte et « collaborateur » au sein du service public, l’aumônier est au cœur des tensions actuelles de la relation Église / État. Comme dans toutes les sphères de la société, la laïcité d’ouverture de 1905 glisse vers une laïcité de contrôle du religieux. Cette perte d’autonomie progressive de l’aumônier menace sa crédibilité auprès de la personne détenue qui risque de le percevoir comme un agent de l’État. C’est parce qu’il est indépendant qu’il suscite sa confiance. Avant 1905, un député protestant, Francis de Pressensé avait eu la sagesse de dire : « L’État s’arrête là où commence la conscience ». Laissons l’aumônier, dans l’ombre, librement construire cette Église en prison, cet espace fragile d’humanité, d’intimité, d’écoute purement gratuite, être un « passeur » de Jésus-Christ.
 
Jocelyne Le Bivic, présidente de la commission Justice et aumônerie des prisons de la Fédération protestante de France.
 
1Psaume 1:1 Heureux qui ne suit pas les conseils des gens sans foi ni loi,qui ne s'arrête pas sur le chemin de ceux qui se détournent de Dieu, et qui ne s'assied pas avec ceux qui se moquent de tout !

2. Luc 23:39-43 L'un des malfaiteurs suspendus en croix l'insultait en disant : « N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et nous avec toi ! ». Mais l'autre lui fit des reproches et lui dit : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même punition ? Pour nous, cette punition est juste, car nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes ; mais lui n'a rien fait de mal. » Puis il ajouta : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras pour être roi. ». Jésus lui répondit : « Je te le déclare, c'est la vérité : aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. »
« J’étais en prison et vous êtes venus me voir »